Un funambule concentré sur une slackline
La concentration est au cœur de notre performance individuelle et collective. Et pourtant, elle est de plus en plus malmenée. Ce n’est pas une fatalité, avec un peu d’entraînement et de compréhension des mécanismes à l’œuvre, nous pouvons reprendre le contrôle de notre attention.
Inspiré des travaux de Jean-Philippe LACHAUX – Directeur de recherche à l’INSERM
P I M – Le mécanisme de la concentration
Nous vivons une époque qui ne manque pas de paradoxes. Jamais, les sociétés humaines n’ont été aussi perturbatrices pour notre concentration. En même temps, le niveau d’exigence que l’on nous impose, voire que l’ON s’impose, a rarement atteint un tel niveau. Or un haut niveau de performance exige un haut niveau de concentration. Les élites sportives le savent très bien.
Être concentré, c’est décider.
C’est mettre le cerveau dans l’état le plus adapté pour ce que l’on cherche à faire en le domptant avec habileté. Cela est indispensable pour toute tâche qui n’est pas encore une routine. Cela peut être l’apprentissage d’un instrument de musique ou la rédaction d’un rapport d’étude.
Voici 3 lettres à retenir pour comprendre et faciliter le mécanisme de la concentration : P I M
Tout part d’une INTENTION : je souhaite marcher en équilibre sur une slackline (voir photo).
Je vais donc prêter attention à certaines PERCEPTIONS : le mouvement du câble, la sensation sur les pieds, la pression du vent…
Pour garder mon équilibre, il me faudra adapter ma MANIERE D’AGIR : me servir de mes bras comme balancier, adapter ma vitesse de marche…
Intention, Perception, Manière d’agir vont œuvrer comme une boucle de régulation.
Voici une analogie pour les férus d’automatisme : l’intention est la consigne, la perception est le capteur, la manière d’agir est la commande asservie.
Bien sûr, dans bien des cas, le PIM est instinctif.
Passés 18 mois, les enfants marchent sur un sol ferme sans prêter plus attention au PIM.
Dans l’exemple de la slackline, il s’agit d’être concentré pour réaliser un geste bien concret. Mais ce mécanisme peut aussi être à l’œuvre lorsqu’il s’agit d’agir avec sa tête.
Pour cela, il faut comprendre la notion de CONVERSION.
Imaginez une licorne blanche avec une crinière rose.
Vous la voyez ?
Vous avez réalisé une conversion : vous avez traduit la description en image mentale, soit une perception visuelle. Une conversion peut aussi être sonore, olfactive, gustative ou kinesthésique. Elle doit faire appel à nos sens afin de capter une perception.
Rappelez-vous comment, enfant, vous reteniez une poésie. Plus ou moins consciemment, vous traduisiez chaque strophe en perception : une image, une odeur, un goût, un son, une sensation ?
Peut-être chantiez-vous le poème à voix haute ?
Vous faisiez cela avec l’intention de mémoriser la poésie et d’être en mesure de la restituer devant la classe.
- Intention : réciter le poème
- Manière d’agir : la conversion
- Perception : l’image, l’odeur, le goût, le son, la sensation que vous avez artificiellement créée dans votre tête.
Au passage, avez-vous remarqué comme il est tellement plus facile de retenir un texte lorsqu’il est associé à une mélodie entraînante. On se souvient parfois des paroles d’une chanson sans même avoir prêté particulièrement attention à ce qu’elles signifient. Qui s’est déjà intéressé au sens des paroles d’une chanson des Beatles que l’on connaît pourtant par cœur ?
Imaginez maintenant que vous deviez préparer puis conduire une négociation ou une présentation difficile. Sauriez-vous créer le PIM qui facilitera votre concentration pour préparer, mémoriser puis conduire efficacement votre entretien ?
R A P – Le système pré-attentif
2 systèmes agissent dans notre cerveau avec une force d’une très grande puissance pour détourner et capter notre attention sans même que nous nous en rendions compte. Il est impossible de neutraliser ces systèmes. Mais nous pouvons apprendre à les canaliser.
Le premier d’entre eux est le système PRE-ATTENTIF
Voici une expérience à réaliser au calme dans un endroit où vous avez un peu de place pour marcher. Déplacez-vous tranquillement en essayant de garder votre regard au loin tout en ayant une vision globale de votre environnement proche. Marchez comme cela quelques instants puis arrêtez-vous.
Est-ce que quelque chose a attiré votre regard sur le côté ou au loin devant vous ? Un objet ? Un visage ? Des signes écrits ? Autre chose ?
Aviez-vous vraiment décidé d’y faire attention ? Bien sûr que non.
En réalité, quelque chose dans votre cerveau a commencé à y amener votre attention avant même que vous ne l’ayez remarqué.
Ce quelque chose, c’est le système PRE-ATTENTIF, un système qui agit pour déplacer l’attention AVANT qu’on ait décidé de faire attention.
C’est ce système qui a permis à nos ancêtres de survivre sans se faire dévorer par les prédateurs alors qu’ils étaient concentrés sur la taille des silex.
Et c’est celui qui nous permet maintenant de marcher en ville sans nous cogner ou nous faire écraser. Il est indispensable à la survie.
Mais c’est aussi une grande source de distraction.
Car très vite, le système pré-attentif capte notre regard. Nous cherchons à voir plus en détail ce qui nous a attiré. Vous êtes dans la rue et que vous entendez un bruit d’avertisseur, vous allez détourner la tête et chercher d’où vient ce bruit et quelle en est la cause. Il influence votre posture.
Attention, Regard, Posture
Ou de façon mémotechnique, retenons l’acronyme R A P.
Vous ne pouvez pas décider d’ignorer ce qui active le système PRE-ATTENTIF.
Mais vous pouvez décider de ne pas continuer à y faire attention, de ne pas déplacer votre regard et de ne pas changer votre posture.
Le funambule marchant sur une slackline prend conscience à tout moment de ce qui le déséquilibre et agit immédiatement.
La clé pour échapper au R A P est de prendre conscience de ces petits signaux qui détournent notre attention et capte notre regard. Vous êtes tenté de regarder votre téléphone après avoir reçu une notification ? Comme le funambule qui perd l’équilibre recentrez-vous immédiatement et tranquillement.
Entraînez-vous, lorsque vous devez donner toute votre attention à un proche, lorsque vous lisez un ouvrage compliqué ou lorsque vous devez écouter le discours laborieux de votre responsable hiérarchique.
Prenez conscience de votre R A P. Votre attention qui se détourne, votre regard qui cherche ailleurs, votre posture absorbée par cette distraction. Doucement, revenez à l’objet primordial de votre attention.
Avec un peu d’entraînement, vous réussirez à garder le contrôle de votre RAP lorsque cela est important. Et vous pourrez vous laisser aller le reste du temps.
S O U R I – Le circuit de la récompense
En plus du système pré-attentif, un autre système agit dans notre cerveau pour prendre le contrôle de notre attention. Son nom est évocateur : le circuit de la récompense.
C’est un système enfoui au centre du cerveau dont la seule mission est de nous faire faire ce qui nous procure du plaisir et de de nous empêcher de faire ce qui nous procure du déplaisir. C’est lui qui nous incite à boire quand on a soif parce qu’il a mémorisé que cela nous apportait du plaisir. Mais c’est aussi lui qui nous incite à repousser l’heure du sommeil pour regarder un énième épisode de notre série préférée. Il est au cœur de tous les plaisirs de la vie mais aussi de toutes les petites et les grandes addictions. il ne s’agit donc pas de le bâillonner mais d’apprendre à l’écouter comme un conseiller et pas comme le maître de notre vie mentale.
Mais pour cela, encore faut-il avoir appris à ressentir son appel à chaque fois qu’il nous tire par la manche pour faire attention à quelque chose d’agréable ou au contraire pour fuir quelque chose d’ennuyeux.
Prenez un moment de relaxation. Tranquillement, essayez de retrouver la sensation que vous éprouvez quand vous avez tout d’un coup une petite envie de faire quelque chose et la frustration quand ce n’est pas possible. Par exemple jetez un œil à vos derniers messages. Ou bien cliquer sur cette petite vidéo amusante qu’un ami vient de vous envoyer, ou encore accepter cette part de tarte si généreusement offerte par une amie.
L’action du circuit de la récompense se manifeste d’abord par une sensation physique à ce moment-là. Cela peut être une petite excitation, une sensation olfactive agréable au niveau du nez, un petit goût dans la bouche. A vous de trouver à quoi ressemble dans votre corps ce petit signal d’alarme qui vous est propre et qui vous signale que vous êtes sur le point de perdre le contrôle de votre attention. Vous avez tout d’un coup bien envie de faire quelque chose.
Pour guider plus en avant votre introspection, voici un moyen mémotechnique.
L’acronyme S O UR I.
S pour Sensation physique agréable,
O pour Oubli soudain de ce qu’on essayait de faire juste avant,
UR pour Urgence à basculer vers cette nouvelle activité,
I pour Image mentale qui nous montre ce que le cycle de la récompense aimerait faire.
Ah, cet excellent Tiramisu de belle-maman !
La simple idée de regarder une notification, de consulter les dernières nouvelles, de voir si notre message a été liké procure des sensations agréables dont notre cerveau se souvient grâce au circuit de la récompense. Il se souvient même de l’endroit où nous avons appris une bonne nouvelle ou mangé un délicieux dessert et nous incite à y retourner. Tapis dans le cerveau, ce système nous pousse à retourner dans les conditions nous avons ressenti du plaisir pour renouveler l’expérience encore et encore et à éviter au contraire tout ce qui nous a déplu.
Tout cela apparaît souvent comme un flash mais avec un peu d’habitude nous pouvons apprendre à connaître immédiatement son action et son effet sur notre corps. Comme un funambule, nous pouvons développer l’habitude de nous restabiliser et de calmer cette sensation physique, cette impression d’urgence, cette image mentale pour décider si oui ou non nous allons suivre la proposition du circuit de la récompense ou la décliner poliment.
« Merci bien mon tentateur mais j’ai mieux à faire pour l’instant. »